Tourner sans gaspiller,
priorité au local

Camions, déplacements de matériel et d’équipes, gros projecteurs et effets spéciaux, groupe électrogène et décors à usage unique, paperasse et vaisselle jetable : un tournage engendre beaucoup de déchets et d’émissions de gaz à effet de serre.

Alors même que les films, séries, téléfilms ont le pouvoir d’être prescripteurs auprès du grand public en matière d’écologie, le bilan carbone des productions audiovisuelles et cinématographiques offre une marge de progression certaine. À l’écran, les œuvres portent et transmettent des messages, elles interrogent la manière de consommer, alertent, influencent la société, précèdent parfois ses évolutions sociétales. Plus que jamais, les productions se doivent d’être exemplaires. Tenues par des impératifs économiques de réduction continuelle des coûts, rompues à l’intensité des tournages avec leurs plannings serrés, les impératifs écologiques ont longtemps été secondaires pour les productions.

Passer à l’éco-production

Mais face à l’urgence climatique et environnementale, et à la pression grandissante des partenaires et financeurs, dont certains conditionnent désormais leur soutien à des critères environnementaux, de plus en plus de professionnels du secteur s’engagent dans une démarche éco-responsable afin de réduire leur impact environnemental. Il s’agit de faire évoluer les pratiques, de parvenir à ce que les gestes pour la planète deviennent de nouveaux réflexes. Si le changement est amorcé, il s’agit désormais de déployer des outils pour l’accompagner et enclencher le cercle vertueux de l'éco-production.

De l’international au local : un virage vert à tous les échelons

Que ce soit au niveau mondial avec Film4Climate, européen avec Green Screen, ou national avec le collectif français Ecoprod, les programmes visant à faire la promotion d’un cinéma vert, sensibiliser et mobiliser les professionnels de l’audiovisuel autour de l’enjeu environnemental, se multiplient. En France, Ecoprod a vu le jour en 2009 et rassemble acteurs privés et publics engagés dans cette démarche écologique. Parmi ses membres fondateurs figurent le CNC, l’ADEME (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) ou encore Audiens, groupe spécialiste de la protection sociale des métiers de la culture, mais aussi Film France et son réseau des bureaux d’accueil des tournages en territoire, France Télévisions comme les chaînes privées, TF1 et Canal+. Pour accompagner la profession, Ecoprod met à disposition un ensemble de ressources : des fiches pour chaque métier, un calculateur de bilan carbone, des affiches, un guide, des conseils méthodologiques, des partages d’expérience...

Le tournage, une occasion d’agir localement

Passer à l’éco-production, c’est d’abord privilégier les circuits courts, faire appel à de la main d’œuvre et des prestataires locaux, opter pour des produits éco-labellisés pour la conception des décors, mais également organiser leur recyclage. La collectivité, dotée d’une connaissance fine de son territoire et des acteurs qui composent le tissu économique, joue un rôle déterminant. Elle peut mettre en relation la société de production avec des fournisseurs, entreprises, associations de l’économie sociale et solidaire, engagées dans une démarche éco-responsable.

La gestion des déchets est un poste clé sur un tournage. La municipalité est en mesure d’informer et de sensibiliser l’équipe sur la politique de tri en vigueur, de mettre en place la signalétique et les bacs sélectifs, d’indiquer les recycleries, déchetteries et entreprises spécialisées dans la récupération et la revalorisation. Quand c’est possible, il s’agit de préférer la location, le réemploi ou l’emprunt de matériel plutôt que l’achat.

Concernant la restauration, il s’agit de privilégier la vaisselle réutilisable plutôt que jetable et d’alimenter la cantine grâce à des fournisseurs de produits bio, de saison qui seront cuisinés sur place. La collectivité renseigne ainsi la production sur les producteurs, éleveurs et maraîchers, installés à proximité.

Le recours aux groupes électrogènes étant polluant, il est préférable d’alimenter les équipements - idéalement à basse consommation -, en les connectant à un réseau qui fournit une énergie si ce n’est en totalité, tout du moins en partie, propre. L’équipe de tournage veillera quant à elle à rationaliser l’utilisation de ces appareils énergivores.

Côté transports, il s’agit d’inciter les équipes à privilégier les transports en commun ou la mobilité électrique. Le principe est d’optimiser les trajets : développer le covoiturage, mutualiser les livraisons, utiliser des vélos… Pour réduire le nombre de kilomètres inutiles, la collectivité peut proposer des solutions de logement des équipes et de stationnement du matériel au plus proche des lieux de tournage. Elle peut informer sur les solutions de transport des personnes et des marchandises engagées dans une démarche de développement durable et accessibles sur son territoire.

La démarche dans le Grand Est

Engagée dans une démarche de développement durable depuis 2007, l’Agence culturelle Grand Est sensibilise les acteurs de la culture à ces enjeux. Elle œuvre à la diffusion des bonnes pratiques sur le territoire. Le Bureau d’accueil des tournages travaille à sensibiliser et accompagner les acteurs et partenaires des tournages, et proposer des solutions qui permettent de réduire l’empreinte écologique des productions cinématographiques et audiovisuelles dans le Grand Est.

Il assure une veille sur le sujet, recense les expériences positives et dialogue systématiquement avec les productions pour évaluer les actions qu’il est possible de mettre en place, identifier et lever les freins existants. Aux côtés des collectivités, il recense les prestataires de la région engagés dans une démarche éco-responsable qui permettront aux équipes de privilégier les circuits courts. Il forme les professionnels de la région et sensibilise les communes autant qu’il les aide à mettre en œuvre des supports et actions concrètes en vue de l'accueil d’un tournage.

Au sein du dispositif de coopération transfrontalière (France, Allemagne, Suisse) INTERREG « Film en Rhin supérieur », le Bureau d’accueil des tournages s’investit pour le partage d’expériences au-delà des frontières : édition d’un catalogue des prestataires verts, sessions de formation
« green consultant » et ateliers « production de film durable », congrès « Green Shooting ».

En bref

Les collectivités peuvent aider l’équipe de production à s’inscrire dans une démarche éco-responsable :

• expliquer la politique de collecte et tri des déchets sur le territoire, fournir des sacs et bacs ;

• recenser les solutions de transport disponibles sur le territoire (autopartage, covoiturage, vélos, transports en commun, etc.) ;

• faciliter les branchements forains au réseau électrique, l’approvisionnement en eau ;

• indiquer les partenaires et prestataires pouvant proposer des solutions éco-responsables, tant pour les services que la fourniture de matières premières que pour la valorisation des déchets : producteurs locaux de légumes, recycleries, transformation de déchets organiques...

Témoignage

Mathieu Delahousse, président et fondateur de SECOYA éco-tournage

Accompagnement de la société de production De Caelis lors du tournage de la série "Disparition inquiétante" à Strasbourg (67)

"Il faut prendre les sociétés de production par la main, les accompagner et les conseiller dans chacune de leur démarche."

"Si le tournage est le point qui cristallise la démarche, il n’est pas la partie la plus importante du projet, le développement et la distribution durent parfois des années. Mais lors du tournage, les besoins sont importants, en matière de déplacements, d’alimentation, de fabrication de costumes et de décors… Autant de postes de pollution que de leviers d’action. De la même manière que chez soi on peut consommer autrement, il faut se poser des questions à chaque étape, pour chaque métier.

Appliquer l’éco-responsabilité, c’est penser une production comme une démarche globale, depuis le financement et l’écriture du scénario, jusqu’à sa sortie en salle, en DVD ou sur plateforme de streaming du film. C’est un changement dans la façon de faire. Un personnage qui doit aller de Marseille à Paris, qu’il prenne le train ou l’avion, le moyen de transport en soi ne transforme pas l’histoire mais transmet en filigrane un message au public. Idem pour un personnage qui jette un papier dans la rue, pourquoi pas dans une poubelle de tri ? Il faut une cohérence, une éthique.

L’accompagnement des productions s’appuie sur notre expérience dans le milieu. J’ai été régisseur pendant 20 ans, et mon associé a exercé le métier 10 ans durant. Après avoir vu le film Demain de Cyril Dion, ce fut le déclic, nous avons créé Secoya. Les outils de sensibilisation existaient déjà : ceux d’Ecoprod. Mais après 10 ans d’existence, le système ne changeait toujours pas. Il ne suffit pas de dire ce qu’il faut faire, il faut prendre les sociétés de production par la main, les accompagner et les conseiller dans chacune de leur démarche pour que cela avance. Nous ne démarchons pas les productions, ce sont elles qui nous sollicitent parce qu’elles ont déjà la volonté d’agir.

Notre travail se décompose en deux temps. D’abord l’éco-manager cherche et étudie les solutions locales pour l’approvisionnement en ressources, la réduction des déchets, le recyclage. L’éco-manager échange aussi avec les administrations et les autorités pour les sensibiliser à la démarche. Un film éco-responsable profite davantage au territoire puisqu’il s’agit de privilégier les opportunités locales, les entreprises sociales et solidaires du coin, les startups qui ont davantage de capitaux que des grands groupes nationaux ou multinationaux.

Ensuite, un éco-assistant est présent au jour le jour sur le tournage. Il vérifie le bon déroulement de la démarche, il est le référent au quotidien pour toutes les questions pratiques, du choix d’une marque de lessive au tri sélectif. Il s’agit de faire de la pédagogie douce, sans être ni démagogue ni donneur de leçon et encore moins militant ou activiste.

Pour le tournage de l’épisode 2 de Disparition inquiétante à Strasbourg, qui a mobilisé une équipe de 40 personnes en moyenne pendant 22 jours, l’entreprise Agrivalor a collecté 418 kg de déchets organiques, qu’elle a transformé en engrais (377 kg) et biogaz (65 m3). Une coopérative de producteurs locaux a alimenté la cantine, une filière a été trouvée pour le recyclage des papiers et cartons, et même pour les mégots, transformés en isolant thermique. Les gobelets et bouteilles ont été remplacés par des gourdes, le café en grains a été privilégié aux capsules. Parce qu’un tournage exemplaire va convaincre, d’autres productions s’engageront et, progressivement, l’impact écologique de la filière diminuera."

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